L'adultitude, ou : Maintenant j'ai le droit de blaguer sur les vieux
Groumph à vous.
Le 1er avril, j'ai eu 20 ans, et ça, ça fait bizarre. Je voudrais pas basculer dans de la philosophie métaphysiquo-mathématique et tout le délire, mais dans 20 ans j'aurai 40 ans, et bientôt la trentaine. Et j'ai pas de mari. Juste un copain qui s'habille à peu près comme moi et qui, quand il voit Suzanna ranger sa timidité pour tenter de pécho un type plus vieux, fait des blagues comme : "Wahou mais c'est la fonte de la culotte glacière !"
(j'avoue j'ai pleuré tellement j'ai ri, mais c'était à cause des cocktails bizarres que m'avait fait ledit Jivé pendant la before, chez lui, avec tous les potes de l'école)
J'ai basculé dans l'âge adulte comme on bascule d'un tabouret de bar après neuf martinis. Je nageais dans l'adolescence, peinarde, mais la réalité m'a cruellement rattrapée ! A moi la crise de la vingtaine, à moi le démon de 10 heures moins le quart ! A moi la crême antiride à l'enzyme de nénuphar Guerlain à 260 euros le pot de 50 millilitres. A moi la musique classique, l'opéra, les Walkiries, Elizabeth Scharzkopf à cinq cents mille décibels !
J'ai essayé de me projeter 10 ans dans l'avenir, en prenant Jivé comme potentiel mari (Andy étant trop irresponsable et irrespectueux de la femme, il serait plutôt du style David Duchovny dans Californication). J'ai essayé de m'imaginer rentrant d'un boulot chiantissime, mon enfant unique me morverait dessus pendant que je le ferais manger, et je rejoindrais ledit mari assis dans son canapé pour regarder avec lui une émission sur les années 80 présentée par Flavie Flament.
Jivé a décidé de me faire un fête surprise pour mes vingt ans, mais il a envoyé le mail d'invitation à tous ses contacts amis msn, en oubliant de m'enlever, ce qui fait que j'ai ouvert le mail et que j'ai pu lire "FETE SURPRISE POUR LES 20 ANS DE DJIOUDITH , SOYEZ TOUS LA , ET DISCRETION ABSOLUE". Je voulais pas lui casser son truc, donc j'ai fait la fille hyper surprise quand il m'a proposé de venir chez lui, pour "boire un coup" avec les autres, et que tout le monde a fait "ouaaaaiiiiis bon anniversaire". Sauf qu'hier, une fille du TD lui a dit "Mais Jivé, tu l'avais aussi envoyé à Djou ce mail...". Il a dit 5 fois "mais quel con" en l'espace de 50 secondes. Je lui ai répondu que ce langage était innapproprié quand on portait des chaussures vernies à bout pointu. Alors il m'a expliqué la figure du mensonge par ommission chez Hannah Arendt.
Moi je ne trouve pas que le fait qu'il soit un gros boulet soit un problème, étant donné que j'en suis un aussi. Non, le seul problème de Jivé, c'est sa filleule. Le système de parrainage est défaillant dans cette école. Depuis le début de l'année scolaire, il traîne à ses basques une fille qui l'appelle "Parrain" en pouffant et qui lui propose d' "aller boire un coup avec d'autres premieres années" gloussement de pétasse à l'appui, quand elle croit que je n'entends pas. Problème, cette fille est plutôt pas mal et réussit à marcher avec des chaussures à talons. Mais j'étouffe mon agacement, je ne veux pas être une fille jalouse qui torpille toute la porcelaine dès que son copain regarde Basic Instinct. Cependant, Jivé a remarqué une sorte d'alourdissement de l'atmosphère de mon côté quand RelouGirl est dans le coin.
Lui : "Ecoute, ce n'est pas ma faute si cette fille a atteint une fonte de la culotte glaciaire assez avancée"
Moi : "Sa culotte is on fire"
Lui : "On ne peut le nier. Mais je lui ai déjà signifié de se calmer quand elle a dit que t'étais qu'une débile."
Moi : "Que j'étais une quoi ?"
Mais pas plus tard que jeudi, à ma fête surprise des 20 ans, elle se pointe chez lui avec ses copines, complètement beurrée (comment avait-elle su qu'il y avait une fête? mystère, mais le nombre d'"amis d'amis" était assez impressionnant, et des gens à qui j'avais dû parler 3 fois en 2 ans me souhaitaient un joyeux anniversaire comme si on avait été à la crêche ensemble). Et quand elle a tenté de grimper littéralement sur Jivé en gloussant et en tentant de l'embrasser, mon sang et les 3 grammes d'alcool qui étaient dedans n'ont fait qu'un tour. Denise a dû me faire un quasi plaquage de rugbyman viril pour ne pas que la fête se transforme en Fight Club. Mais à ma grande surprise, Jivé s'en est débarassé en faisant preuve d'une rare arrogance. Il lui a fait "Ecoute, le déguerpissement me semble être la seule solution possible pour toi. Parce que j'aimerais pas trop que tu gâches la fête de ma copine en faisant un malaise au milieu du salon." Tout ça pendant que Suzanna changeait de morceau, donc dans un relatif silence. Un halo héroïque entourait Jivé, j'ai même eu l'impression qu'il avait mis une cape et qu'elle flottait au grés des mouvements du ventilateur. La fille a décroché ses bras du cou de Jivé tel le bonobo mort, permettant à ce dernier d'aller courir chercher un mouchoir pour arréter son saignement de nez. Sauf qu'au lieu de s'en aller, la fille commencé à vouloir suivre Jivé dans sa salle de bain. Mais Denise, qui descend directement du hooligan, l'a interceptée et lui a montré le chemin de la sortie.
Sur le chemin du bar de nuit, j'ai demandé à Jivé : "Quel était cet acte de bravoure?"
Lui : "Je sais pas je dois avoir l'alcool mauvais."
Ce week-end, je rentre pour fêter de nouveau dignement mes 20 ans avec Pénélope et Andy. Ils m'ont dit qu'ils avaient un cadeau "de la mort qui tue". Le suspense est insoutenable.